Mercredi 8 janvier à 18 heures, devant le siège parisien de la multinationale américaine, BlackRock, des enseignants de la Seine-Saint-Denis, armés de cotillons, confettis, chapeaux pointus et autres serpentins, distribuent des tracts, des sourires et des boîtes de Smarties.

Sur les tracts on peut lire un texte expliquant le rôle et les intérêts de BlackRock portant sur la réforme des retraites française. Sur les sourires on peut lire que ce combat, qui dure depuis 41 jours pour certains, depuis toujours pour d’autres, ne se gagnera que dans la joie et la positivité mais une question subsiste… pourquoi donc les Smarties ?

Pour y répondre, reprenons l’affaire depuis le début. Qu’est-ce que BlackRock ?
Fondée en 1988, BlackRock est le plus important gestionnaire d’actifs au monde. Implantée dans une trentaine de pays, la société dirigée par Larry Fink investit l’argent de ses clients sur les marchés financiers en leur promettant une plus value. L’ensemble de ces actifs représente près de 7 000 milliards de dollars américains, soit près de deux fois et demi le PIB français.
En plus de ses activités américaines où elle détient une part de 40 % des plus grosses entreprises dont notamment Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, BlackRock est également bien implantée en France où elle est au conseil d’administration de presque toutes les sociétés du CAC40 : Eiffage, Danone, Vinci, Lagardère, Renault, Peugeot, Société générale, Axa, Vivendi, Total, Sanofi, etc. D’après Mediapart, la multinationale est l’actionnaire, souvent principal, d’au moins 172 des 525 entreprises françaises cotées en Bourse.
Mais que lui reproche-t-on et pourquoi BlackRock se trouve-t-elle sous le feu des critiques depuis plus d’un mois, sur un fond de grève contre la réforme des retraites ?

En juin 2019, le groupe publie une note en accès libre sur son site intitulée « Loi Pacte – Le bon plan retraite » dans lequel il détaille ses recommandations au gouvernement français pour une « réforme réussie ». La stratégie suggérée à l’exécutif s’articule en trois points :
- encourager l’accès à la retraite par capitalisation via des décrets et des ordonnances
- créer un système « d’éducation financière » pour former les français à une meilleure gestion de leur budget retraite
- rendre automatique l’adhésion à un plan épargne retraite
Dans cette même note, BlackRock se félicite de l’adoption de la loi Pacte en avril 2019 qui permet de « combler des lacunes structurelles » et surtout d’ouvrir la voie au système de retraite par capitalisation via la création de produits d’épargne individuels. Le système actuel de retraite par répartition représente en réalité un manque à gagner pour BlackRock qui décrit l’épargne française « comme l’une des plus élevées d’Europe ».
Si la réforme devait aboutir, le numéro un de la finance mondiale en serait donc l’un des grands gagnants car il pourrait diriger l’argent de ses clients vers de tels produits d’épargne. Mais quels sont les liens entre la multinationale américaine et le gouvernement actuel ?

En plus de cette note qui suggère la façon dont il convient d’écrire la loi et les règlements (voir plus haut), le journal Mediapart révèle l’existence d’un intense lobbying mis en place par BlackRock et ce, dès le début du quinquennat Macron. Le PDG Larry Fink (ou “l’homme le plus puissant de Wall Street” selon Challenges) a en effet été reçu à l’Élysée dès le 6 juin 2017, moins d’un mois après les présidentielles. Un documentaire d’Arte montre que cette rencontre n’a été que la première d’une longue série après l’élection d’Emmanuel Macron. La dernière en date est celle de juillet 2019 où le Président de la République a invité Larry Fink à l’occasion d’une réunion sur le climat et l’investissement.
Retraites: derrière la prétendue universalité de la réforme, des intérêts très particuliers sont en embuscade. Notamment BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde, qui a des vues sur l’épargne française et qui a l’oreille du pouvoir. @Mediapart https://t.co/mZJs57XXKy
— Edwy Plenel (@edwyplenel) December 9, 2019
Jean-François Cirelli, directeur de la branche française de BlackRock, se trouve lui aussi dans les petits papiers de l’exécutif : en octobre 2017, il était invité à siéger au Comité action publique 2022 afin de plancher, avec d’autres experts, sur la réforme de l’Etat. Le 1er janvier 2020, ce dernier était même promu au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur par le gouvernement, ce qui fut pris comme une provocation par de nombreux opposants à la réforme, dont Maxime Combes, porte-parole du mouvement ATTAC.
Mesdames et Messieurs
— Maxime Combes (@MaximCombes) January 1, 2020
Le Premier-Ministre @EPhilippePM est très heureux de vous annoncer qu'il vient de nommer Jean-François Cirelli, président de #BlackRock France, officier de la Légion d'Honneur
Rappel : #BlackRock pourrait directement bénéficier de la #reformesdesretraites pic.twitter.com/q8y65WvkH8

Le 2 janvier dernier, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, était interrogée sur la possible influence de BlackRock sur le gouvernement Macron et sur cette nomination à la Légion d’Honneur.
« Une pure coïncidence » expliqua-t-elle à BFMTV. Afin d’enlever tout soupçon, celle-ci compara le marché français à une « boîte de Smarties » par rapport à la taille de BlackRock qui, d’après elle, aurait bien mieux à faire que de s’intéresser à la réforme des retraites en France. Une information démentie par Jean-François Cirelli même, quelques jours auparavant lors d’une interview pour France Info où il annonçait que son groupe avait « de grandes ambitions pour la France ».
La politique de Macron, c'est BlackRock qui en parle le mieux.
— Attac France (@attac_fr) December 22, 2019
Interview de J-F Cirelli, patron de #BlackRock France, au sujet de la loi Pacte et de la réforme des #retraites, qui vont permettre de développer la retraite par capitalisation… la spécialité de BlackRock. pic.twitter.com/RO7jLzOJW5
Interrogé par Les Echos, un porte-parole de BlackRock refuse de s’exprimer sur la controverse actuelle : « Nous ne commentons pas ces articles, qui sont par ailleurs inexacts ».
C’est dans ce contexte polémique que les enseignants du 93 ont souhaité se rassembler mercredi devant le siège de BlackRock, désormais vu comme le « symbole de l’ennemi » dans cette contestation sociale. La veille, un groupe de cheminots avait même fait irruption dans les locaux de l’entreprise, ce qui expliquait la forte présence policière aux abords du bâtiment le lendemain.


« Quand on se met en grève, personne ne s’en rend compte à part les parents d’élève. Aujourd’hui nous voulons montrer notre solidarité avec les cheminots et le reste du mouvement mais également alerter sur nos conditions de travail dans l’Éducation Nationale. Je crois que toutes les luttes sont en train de se rejoindre et aujourd’hui, c’est devant BlackRock que ça se passe! » lance Maëlle, professeur de lycée à Aubervilliers.
À qui profitera la réforme ? Aura-t-elle vraiment lieu ? La contestation sociale se diversifie tandis que les géants de la finance planent autours de la boîte de Smarties. Celle-ci résiste depuis exactement 41 jours, combien de temps pourra-t-elle tenir ? La prochaine grande manifestation aura lieu jeudi 16 janvier au départ de la gare Montparnasse.
Pour aller plus loin : voir Le Fil d’Actu sur le sujet :
Sources
BFM Business, « Le fonds BlackRock accusé d’être le grand gagnant de la réforme des retraites« , décembre 2019
France Info, « On vous explique la polémique sur BlackRock, ce fond d’investissement soupçonné de vouloir imposer la retraite par capitalisation en France« , décembre 2019
France Info, « Jean-François Cirelli : une Légion d’honneur qui fait polémique« , janvier 2020
Le Monde Diplomatique, « BlackRock, la finance au chevet des retraités français« , janvier 2020
Mediapart, « Retraites: BlackRock souffle ses conseils pour la capitalisation à l’oreille du pouvoir« , décembre 2019